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Edito : 50 ans après Spoutnik, la conquête de l'espace trouve un nouveau souffle

Au cours d'un récent colloque sur les 50 ans de l'exploration spatiale à Pasadena, en Californie, les nouvelles puissances spatiales asiatiques, Chine, Japon et Inde, ont confirmé leurs ambitions spatiales et se sont clairement posées en rivales des Etats Unis et de l'Europe pour la conquête de l'espace. Les Chinois ont envoyé leur premier homme dans l'espace en octobre 2003 et ont l'intention d'expédier une sonde sur la Lune avant la fin de cette année. Le Japon a lancé à la mi-septembre son premier engin destiné à tourner en orbite autour du satellite naturel. L'Inde espère elle aussi conquérir la Lune au premier semestre 2008.

Tant New Dehli que Pékin ont évoqué la possibilité d'envoyer des hommes sur la Lune à moyen terme, alors que les Etats-Unis veulent y revenir en 2020, 48 ans après leur dernière mission. La Nasa s'est en outre donné pour objectif de faire fouler la surface de Mars à un homme en 2037. "Alors qu'en 2057 nous fêterons le 100e anniversaire du Spoutnik, nous pourrions bien célébrer les 20 ans de la conquête de Mars", a affirmé l'administrateur en chef de la Nasa. Mais des astrophysiciens, ingénieurs spatiaux et autres scientifiques américains de haut niveau sont loin de partager cet optimisme, pointant le peu d'intérêt qu'éprouvent aujourd'hui les jeunes de leur pays pour le secteur de l'espace et le manque d'ambition du gouvernement en matière de formation de ses futures élites scientifiques.

Pendant ce temps, les Asiatiques redoublent d'effort pour rattraper leur retard : un demi-million d'ingénieurs ont été diplômés en 2004 en Chine, 200'000 en Inde et seulement 70'000 aux Etats-Unis, selon un rapport au ton alarmiste de l'Académie américaine des Sciences publié cette année. Les auteurs de ce rapport baptisé "Rising above the gathering storm" (Surmonter la tempête qui se prépare) mettent en garde contre un "décrochage" technologique des Etats-Unis : "Beaucoup de gens pensent que les Etats-Unis seront toujours les meilleurs au monde en science et en technologie, mais cela pourrait n'être plus le cas" à l'avenir, préviennent-ils.

Les grandes puissances asiatiques, le Japon, la Chine et l'Inde, sont lancées dans une course à la conquête de la Lune et veulent faire du satellite de la Terre une plate-forme d'exploration de l'espace et de la planète Mars. Ainsi, le Japon, deuxième puissance mondiale, a lancé avec succès à la mi-septembre une fusée transportant une sonde d'observation de la Lune, première étape du plus ambitieux programme lunaire depuis la mission américaine Apollo en 1969. "Nous voulons explorer la Lune, mieux la connaître", a déclaré Keiji Tachikawa, président de l'agence japonaise d'exploration spatiale JAXA. Cette mission "Kaguya" vise à mieux comprendre l'origine et l'évolution de la Lune.

Au-delà, le rêve du Japon est de construire une base humaine internationale sur la Lune. "La Lune n'est plus seulement un endroit à visiter, mais nous devons envisager d'y habiter et de l'exploiter", a plaidé M. Tachikawa. Le Japonais s'exprimait en marge d'une conférence internationale sur la conquête de l'espace qui s'est tenue à Hyderabad, dans le sud de l'Inde. 2.000 scientifiques, astronautes, constructeurs de satellites ont débattu des moyens de profiter de la forte croissance attendue de l'industrie spatiale mondiale au cours des dix prochaines années.

Le secteur pourrait représenter 145 milliards de dollars d'activité entre 2007 et 2017 contre 116 milliards entre 1997 et 2006, estime le cabinet spécialisé Euroconsult. Et l'Inde y nourrit de fortes ambitions. Le géant économique asiatique, aux ambitions de puissance mondiale, veut mener 60 missions spatiales d'ici à 2013, y compris vers la Lune et vers Mars, a indiqué Prithviraj Chavan, ministre auprès du Premier ministre.

New Delhi a lancé avec succès début septembre un satellite de télécommunications destiné à remplacer un autre détruit en 2006, faisant croître ses espoirs de rafler une part du marché mondial du lancement de satellites lourds, évalué à 2,5 milliards de dollars par an.

En janvier, l'Inde avait réussi, pour la première fois de son histoire, à récupérer sur Terre une capsule spatiale qu'elle avait envoyée quelques jours auparavant : une mission préparatoire à un futur vol habité dans l'espace. L'agence indienne de recherche spatiale (ISRO) a promis d'envoyer d'ici à 2009 une sonde inhabitée vers la Lune puis d'ici à 2013 une mission similaire vers Mars, avant de tenter d'envoyer un jour un être humain dans l'espace. Une sonde indienne pourrait partir en mars ou avril 2008 vers la Lune, a prédit B.N. Suresh, directeur du centre spatial Vikram Sarabhai, dans l'Etat du Kerala.

C'est aussi l'an prochain que l'Inde fixera la date d'une mission habitée vers la Lune, a rappelé G. Madhavan Nair, patron de l'ISRO. "Cela prendra sept ou huit ans", a-t-il dit. Mais la Chine rivale a plusieurs longueurs d'avance.

Pékin a effectué deux missions habitées en orbite ces trois dernières années, devenant le troisième pays, après les Etats-Unis et la Russie, à envoyer par ses propres moyens des êtres humains dans l'espace. Le programme spatial chinois prévoit aussi des missions lunaires, qui pourraient démarrer cette année avec l'envoi d'un satellite d'exploration. "Il y a un très fort regain d'intérêt pour l'exploration de diverses planètes", a constaté Sun Laiyan, patron de l'agence spatiale chinoise. De fait, la Nasa veut envoyer un Homme sur Mars d'ici à 2037, a déclaré le patron de l'agence spatiale américaine, Michael Griffin. "Nous avons besoin de retourner sur la Lune pour pouvoir aller encore plus loin, jusqu'à Mars", a renchéri le porte-parole de l'Agence spatiale européenne, Franco Bonacina.

Mais cette montée en puissance des puissances asiatiques en matière spatiale ne doit pas faire oublier une réalité incontournable: les Etats Unis dépensent à eux seuls plus de 30 milliards de dollars par an dans exploration spatiale, soit quatre fois plus que l'Union européenne et la Russie réunies. Grâce à cet investissement sur le long terme les Etat Unis resteront une grande puissance spatiale incontestée dans les décennies à venir et conserveront très probablement leur avance technologique dans ce domaine stratégique.

L'espace et les technologies qui en découlent sont également en train de devenir des instruments de maîtrise et de puissance incontournables dans les domaines de l'environnement, de l'agriculture et de l'aménagement du territoire, qui sont devenus des enjeux économiques et politiques majeurs en ce début de siècle. Après demain, l'espace offrira également de nouvelles sources d'énergie qui pourrait transformer notre civilisation.

La mise en oeuvre de programme spatiaux à long terme et l'investissement dans la recherche spatiale (nouveaux types de satellites, nouveaux modes de propulsion ionique, nouveaux systèmes de détection et de communication) sont plus que jamais indispensables pour les pays ou entités politiques qui veulent demain être à la fois de grandes puissance politiques, technologiques, économiques et stratégiques. L'Inde, La Chine et le Japon ne s'y sont pas trompés et si l'Europe veut garder son niveau d'excellence et de compétitivité techno-industrielle elle devra, face au géant américain et aux puissances émergentes, augmenter considérablement son effort communautaire dans ce domaine essentiel pour notre avenir.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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